La Ville de Genève honore les lauréat-e-s du Prix Nobel de la paix, Maria Ressa et Dmitry Muratov

Les journalistes d’investigation Maria Ressa et Dmitry Muratov, lauréat-e-s du Prix Nobel de la paix 2021, ont reçu le 3 mai 2022 la Médaille «Genève reconnaissante». Au nom des autorités de la Ville de Genève, Mme Frédérique Perler, Maire de Genève, a remis la distinction aux deux récipiendaires au cours d’une cérémonie qui s'est déroulée au Palais Anna et Jean-Gabriel Eynard.

Image
Médaille Genève reconnaissante 2022

Dmitry Muratov, Frédérique Perler et Maria Ressa.

En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, la Ville de Genève rend ainsi hommage au parcours exceptionnel et à l’engagement remarquable de deux ambassadeurs des médias, du journalisme d’enquête et d’investigation, dans une époque où la liberté de la presse est confrontée à de redoutables défis et d’innombrables menaces de répression, de censure, de propagande et de désinformation.

L’an dernier, le Comité Nobel a choisi de leur décerner le Prix Nobel de la paix pour «leur combat courageux pour la liberté d'expression» dans leurs pays respectifs, les Philippines et la Russie.

Maria Ressa est notamment l’auteur de nombreuses enquêtes critiques sur les abus de pouvoir et l'autoritarisme du président philippin. Pour cela, elle a été condamnée à six ans de prison pour diffamation.

Dmitry Muratov, rédacteur en chef du quotidien russe «Novaïa Gazeta», le principal journal d’opposition du pays, s’est toujours montré extrêmement critique envers les dérives autoritaires du pouvoir en place en Russie.

Il était légitime que Genève, ville de la paix et des droits humains, reconnaisse elle aussi leurs parcours marqués par le courage et la détermination à faire triompher la cause de la liberté de la presse, de la liberté d’expression et de la liberté d’information. «Vous vous inscrivez pleinement dans ce combat pour la défense de la personne humaine, ce combat ardemment défendu par Genève depuis des siècles» souligne la Maire de Genève Frédérique Perler.

________________________

Maria Ressa

Née le 2 octobre 1963 à Manille, aux Philippines, Maria Angelita Ressa quitte avec ses parents sa patrie pour les États-Unis à l’âge de 9 ans. Se destinant d’abord à la médecine, elle étudie notamment la biologie à l’Université de Princeton, avant de bifurquer vers les études de la langue anglaise, qu’elle termine avec mention. De retour aux Philippines, Maria Ressa obtient sa maîtrise en journalisme à l'Université des Philippines Diliman et commence sa carrière de journaliste en travaillant pour le programme d’actualité 60 Minutes et dans le département des nouvelles de la chaîne de télévision PTV-4. Puis, elle devient  productrice pour une célèbre journaliste de télévision et cofonde une société de production indépendante Probe Productions.

En 1988, la journaliste, qui a aussi la nationalité américaine, devient cheffe du bureau de CNN d’abord à Manille et ensuite à Jakarta, poste qu’elle occupera pendant 17 ans. Reporter de terrain, elle couvre tous les conflits majeurs dans la région, y compris les émeutes en Indonésie ou la crise du Timor oriental, et se spécialise dans le terrorisme, en traquant les liens entre les réseaux mondiaux comme Al-Qaïda avec les activistes d'Asie du Sud-Est. Elle écrit également deux livres sur la montée du terrorisme dans la région, Seeds of Terror et From Ben Laden to Facebook. En 2004, elle prend la direction pour six années du service des informations de la première chaîne du pays ABS-CBN.

En 2012, cette défenseuse de l’état de droit aux Philippines cofonde la plateforme numérique de journalisme d’investigation anglophone Rappler. Ce site d'information, dont elle est directrice générale, devient l’un des sites les plus visités du pays. Il publie des articles critiques envers la politique du régime philippin dirigé par Rodrigo Duterte - les abus de pouvoir, l'autoritarisme ou la campagne controversée et meurtrière contre le trafic de drogue. À travers cette plateforme, la journaliste s’attaque aussi aux réseaux sociaux, vecteurs de désinformation et de haine. Rappler est lauréat de plusieurs prix internationaux de journalisme d’investigation, mais est visé par plusieurs procédures judiciaires.

Maria Ressa a été nommée Personnalité de l’année 2018 par Time Magazine et fait partie des 100 personnalités les plus influentes de 2019. Cette même année, elle se fait arrêter une première fois pour «cyberdiffamation», puis une deuxième fois deux mois plus tard. Après une troisième arrestation en mars 2020, la journaliste est jugée coupable de diffamation et condamnée à six ans de prison. En liberté conditionnelle, elle fait appel, mais la justice lui reproche sept chefs d’accusation au total. Malgré ce harcèlement judiciaire et ces tentatives des autorités de museler la presse, Maria Ressa reste basée aux Philippines et continue d’exercer son métier et de s'opposer au gouvernement. En avril 2021, Maria Ressa est désignée lauréate du prix de la liberté de la presse de l’UNESCO.

Dmitry Muratov

Journaliste russe et défenseur des droits humains, cofondateur et rédacteur en chef du journal Novaïa Gazeta, Dmitry Andreevitch Muratov est né le 29 octobre 1961 à Kouïbychev en URSS (devenu depuis 1991 Samara, Russie). Intéressé par le journalisme dès ses études de philologie à l’Université d’État de Kouïbychev, il entame sa carrière journalistique dans le journal local Volzhsky Komsomolets, après avoir servi dans les forces armées soviétiques de 1983 à 1985. En 1987, il est nommé chef du département de la jeunesse ouvrière du très célèbre journal Komsomolskaïa Pravda. Trois ans plus tard, il devient rédacteur en chef de son département d’information.

Après le démantèlement de l’URSS, Dmitry Muratov, ainsi que d’autres journalistes de Komsomolskaïa Pravda, quittent la rédaction du journal, suite à un désaccord profond avec sa nouvelle ligne éditoriale, plus restrictive, et font naître sous leur plume, le 1er avril 1993, le premier numéro de Novaïa Ejednievnaïa Gazeta, devenue depuis 1995 Novaïa Gazeta. Le journaliste y est d’abord rédacteur en chef adjoint. Il se rend en Tchétchénie pour suivre les combats en tant que correspondant spécial. En 1995, Dmitry Muratov  devient son rédacteur en chef, mais continue d’y publier de nombreux articles. Marié et père de trois enfants, le journaliste vit et travaille à Moscou, malgré un contexte politique difficile et des risques sécuritaires de plus en plus accrus.

Une des rares voix encore indépendantes en Russie, Novaïa Gazeta est le principal journal d’opposition du pays. Symbole de la liberté d’expression et l’un des seuls média russes d’investigation journalistique, ce trihebdomadaire a notamment mis en lumière de nombreux scandales de corruption, a pointé du doigt d’innombrables dysfonctionnements de la justice, des violences policières, des exactions de l’armée et a dénoncé les fraudes électorales. Un engagement payé au prix fort, celui de la vie de six de ses journalistes, assassinés entre 2000 et 2009 : Igor Domnikov, Iouri Chtchekotchikhine, Anna Politkovskaïa, Stanislav Markelov, Anastasia Babourova et Nathalia Estemirova. Fin mars 2022, suite à l’offensive russe en Ukraine et face au durcissement contre les voix non alignées sur le discours officiel, le journal annonce suspendre ses publications jusqu’à la fin de ces opérations. Un mois plus tard, les journalistes exilés à Riga, capitale de la Lettonie, déclarent lancer une édition européenne du journal en russe et en anglais Novaïa Gazeta Europe «pour donner une information juste aux Russes».

Le 10 décembre 2021, Maria Ressa et Dmitry Muratov se voient décerner conjointement le Prix Nobel de la paix 2021 «pour leur combat courageux pour la liberté d’expression». Pour le comité Nobel, le Russe et la Philippine «sont les représentants de tous les journalistes qui défendent cet idéal dans un monde où la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus défavorables». En effet, selon le dernier classement annuel de Reporters sans frontières, la situation de la liberté de la presse est problématique, difficile, voire très grave dans près de trois quarts des 180 pays évalués par l’organisation. Il s’agit du premier Prix Nobel de la paix, en cent vingt ans d’histoire, à récompenser la liberté d’information en tant que telle: sans la liberté d’expression et celle de la presse, promouvoir la fraternité entre les nations, le désarmement et un monde meilleur, comme le souhaitait Alfred Nobel dans son testament, serait mission impossible. Après avoir dédié son prix à son journal et à ses collègues assassinés, Dmitry Muratov a annoncé vouloir vendre sa médaille au profit d’un fonds de soutien pour les réfugiés ukrainiens.

Contact

Mme Anastasia Outkina
Service des relations extérieures de la Ville de Genève
Tél. 022 418 29 47

Article modifié le 04.05.2022 à 09:22