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Interroge a répondu à la question "L’histoire est-elle écrite par les vainqueurs ?"
La réponse a été mise à jour le 15 juillet 2022.
Bonjour,
Nous vous remercions d'avoir fait appel au service Interroge, voici le résultat de nos recherches :
« "L'histoire est écrite par les vainqueurs." Avec cette formule, le journaliste et écrivain Robert Brasillach interroge dans Frères ennemis (1944) l'histoire du point de vue de son objectivité. Elle semble en effet, à l'issue d'un conflit, toujours servir un projet politique : celui de la reconstruction nationale. La nécessité de développer une mémoire collective ferait ainsi un récit l'emporter sur un autre en occultant la version de la partie adverse. Ce qui pose la question : l'histoire peut-elle être une science exacte ? […] ». Voici comment Justine Martin s’interroge dans un article de paru le 14 novembre 2017 dans le journal Le Point.
Dans le passé déjà, il existait des pratiques comme celle de la damnatio memoriae décrite dans l'article La damnatio memoriae : tout doit disparaître, paru en novembre 2020, dans le magazine Historia :
« Le sénat de Rome n'hésite pas, post mortem, à bannir de la mémoire collective certains puissants, dont la moindre trace est supprimée, amputée, biffée...
Dans l'Antiquité, la damnatio memoriae - "damnation de la mémoire" - est une condamnation votée par le sénat romain. Elle vise le plus souvent un puissant, homme ou femme, et consiste à annuler ses honneurs, à effacer son nom des monuments publics, des monnaies, voire à renverser les statues le représentant. »
De nos jours, les « lois mémorielles », qui, selon la définition du dictionnaire de L'Internaute « impose[nt] le point de l’Etat dans la présentation d’un événement historique », proposent d’une certaine façon une réécriture de l’histoire.
Voici ce qu'écrit Sébastien Ledoux à ce propos dans l’introduction du hors-série n° 15 - Les lois mémorielles en Europe - paru en 2020 dans la revue d’histoire politique Parlement[s] :
« La formule "lois mémorielles" apparaît en France en décembre 2005 lors d’une controverse où la dérive du parlement français à légiférer sur l’histoire est dénoncée et où l’abrogation de quatre lois de natures différentes est réclamée. Depuis, elle a été reprise dans le discours scientifique national et international (memory law), débarrassé de son origine dépréciative, pour évoquer différentes lois relatives au passé, adoptées par des institutions nationales ou supranationales. Néanmoins, la définition n’est toujours pas stabilisée dans le champ scientifique. Selon Laure Neumayer "les lois mémorielles sont des actes législatifs visant à consacrer une interprétation du passé privilégiée par les autorités étatiques, au nom d’un impératif de vérité et de reconnaissance des victimes de violences politiques. Certains de ces textes sont de nature déclarative et ont une portée purement symbolique, tandis que d’autres impliquent une qualification juridique de l’histoire dont le non-respect est assorti de sanctions pénales." »
Gérard Noiriel, dans son article De l’histoire-mémoire aux "lois mémorielles", paru en 2012 dans le numéro intitulé Légiférer sur la contestation des génocides : débats et enjeux de la revue n° 15 Etudes arméniennes contemporaines, relève aussi l’ambiguïté du mot et du concept d'« Histoire » :
« […] En français, comme dans la plupart des langues européennes, le mot "histoire" a plusieurs sens. Dans le langage courant, il désigne la réalité du passé, l’ensemble des événements qui ont réellement eu lieu. […] Mais le mot "histoire" désigne aussi tous les discours tenus sur le passé. Parmi ces discours, on peut distinguer deux grands ensembles. Le premier concerne les récits de fiction. C’est le modèle du roman ou du conte pour enfant. Il consiste à "raconter une histoire" avec des personnages, une intrigue, etc. Le second ensemble réunit les discours qui affichent une prétention de vérité, en s’appuyant sur des événements qui ont réellement eu lieu. Ces discours de vérité peuvent eux-mêmes être répartis en deux sous-ensembles, que j’appelle l’histoire-mémoire et l’histoire-science. »
Frédéric Sallée, historien, ouvre des perspectives alternatives à celle d’une histoire écrite uniquement par les vainqueurs à travers les approches historiographiques récentes. Voici ce qu’il nous en dit dans son ouvrage publié en 2019 La mécanique de l’histoire et particulièrement dans le chapitre qui porte justement pour titre L’histoire est écrite par les vainqueurs :
« Dans Frères ennemis, en 1944, Robert Brasillach, acteur et témoin de la défaite annoncée de Vichy, se résignait à cette affirmation : "L’Histoire est écrite par les vainqueurs". L’histoire est, à la suite d’un conflit, outil de reconstruction nationale et support de création d’une mémoire collective. En ce sens, elle ne peut être objective car jugée comme utile par le politique. Le vainqueur est celui qui détient le pouvoir de refabriquer l’histoire telle qu’il l’entend, l’envisage et la désire. En ce sens, elle est écrite par celui qui a le pouvoir effectif. Depuis l’Antiquité, le vainqueur – et surtout le dominant – est celui qui détient le pouvoir de l’écriture et qui est libre de retranscrire sa vision du passé mais aussi de faire disparaître les traces de celui qu’il juge néfaste à l’incarnation de son autorité. Ainsi, l’histoire paraît non seulement écrite mais également transformée et effacée par le vainqueur. […] En somme, le puissant paraît toujours être au sommet de l’histoire, de son vivant comme dans sa mort, écrivant sa propre hagiographie ou laissant l’historien futur le faire à sa place.
Malgré cela, la figure du vaincu a pu avoir toute sa place dans l’écriture de l’histoire, y compris de manière surévaluée. […]
De vaincu à perdant magnifique, il n’y a qu’un pas que l’histoire romantique puis nationaliste a aisément franchi. Vercingétorix en héros malheureux face au vainqueur barbare devient l’allégorie du chef digne dans la défaite dans la construction de l’histoire nationale. […] La défaite forge la nation. Et les perdants réécrivent l’histoire de la défaite militaire et politique comme une victoire de la construction nationale […].
Depuis les années 1970, de nombreux courants historiographiques ont réécrit l’histoire des vaincus. Longtemps perçue comme l’exemple suprême d’une histoire du vaincu effacée volontairement par le vainqueur, la colonisation espagnole de l’Amérique latine est réévaluée au regard des sources léguées par les civilisations précolombiennes. En 1971, l’historien Nathan Wachtel, dans La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole (1530-1570), dresse le panorama de la perception de la défaite mais également son poids dans l’imaginaire collectif.
Lors de la décennie suivante, en 1982, les Subaltern Studies, mouvement historiographique issu des études de l’historien indien Ranajit Guha, voient le jour et proposent une lecture de l’histoire non plus par l’histoire des "grands Hommes" qui auraient fait la nation mais par les dominés. Dans un contexte de rejet de l’historiographie de la colonisation britannique mais aussi de celle du nationalisme indien, ces études prônent le retour à une histoire des "sans-noms", des "invisibles" de la société.
Désormais, la prise en considération des cultures locales, autour de leurs traditions et de leurs transmissions, de l’oralité comme de l’écrit, devient archives et rend audible des populations jusque-là perçues comme le dominé permanent et le faire-valoir du dominant dont l’histoire traditionnelle était issue.
Aux Subaltern Studies s’est agrégée la Global History et ses apports novateurs. Dans la conception globale d’une histoire mondiale, le rapport entre colonisateurs et colonisés a été rebattu. Cette fois, non pour remettre le dominé au centre, mais pour mettre en lumière les liens entre le vainqueur et le vaincu et leur alliance nécessaire à leur survie mutuelle. […]
Dans un souci d’équité des lectures du monde, prenant en considération l’intégralité des groupes sociaux, l’historien a su rééquilibrer l’écriture de l’histoire en la rendant plurielle.
Le crédit déféré à l’histoire des vaincus eut l’avantage de couper court aux considérations idéologiques d’une histoire comme perpétuel instrument du pouvoir. La méfiance permanente n’est plus de mise même si le doute est salutaire au travail du chercheur. […] »
L’historien Fernand Braudel ne s’y était pas trompé, lui qui dans son discours de réception à l’académie française du 3 mai 1985 a dit :
« […] D’ailleurs l’histoire, sans cesse interrogée, est condamnée à la nouveauté, à des rajeunissements successifs, indispensables. Car si toute société se retourne obligatoirement vers son passé pour s’expliquer à elle-même, pour trouver hors du temps présent des alibis, des refuges ou des excuses, voire des consolations, elle attend aussi des réponses nouvelles aux questions nouvelles qui la tourmentent. Les histoires de Guizot, de Michelet, de Fustel de Coulanges, de Taine étaient déjà, en leur temps, des histoires nouvelles. […] »
Nous espérons que ces éléments vous aideront dans votre recherche. N'hésitez pas à nous recontacter pour tout complément d'information ou toute autre question.
Cordialement,
Les Bibliothèques municipales de la Ville de Genève
Pour www.interroge.ch